dopage :  l'  epo


Je profite du scandale du tour de France avec la mise en accusation d’un coureur cycliste  pour écrire un article concernant  l’EPO. Je tiens à signaler en tant qu’en entraîneur de course à pied, je bannis toute prise de produit dopant d’un sportif. Et j’espère que mon article fera réfléchir à deux fois  tous ceux qui voudraient tenter l’expérience et devenir ainsi des tricheurs. 

 

Initialement destinée aux insuffisant rénaux ou aux patients souffrant de graves anémie, l'érythropoïétine (EPO) artificielle a rapidement trouvé sa place dans l'arsenal dopant. Son étonnante efficacité a fait oublier certaines méthodes artisanales. Interdit depuis plus de dix ans par le Comité international olympique, il reste difficile à détecter.

Son utilisation concernerait d'autres sports du football au marathon en passant par le ski, en un mot, les sports utilisant la filière aérobie.  Au départ, l'EPO est une hormone naturellement fabriquée par les reins (80 %) et le foie (20 %). Elle stimule la fabrication par la moelle osseuse de globules rouges qui transportent l'oxygène vers les organes.

Au coeur de la moelle osseuse, la fabrication des globules rouges, à partir de cellules souches  sanguines, repose sur un subtil équilibre. Il en faut ni trop ( c’est hyperviscosité sanguine), ni trop peu ( c’est l’anémie).Un mécanisme de régulation oblige parfois à se donner la mort. Un suicide programmé sous la dépendance d’enzymes très particulières : les caspases. Pour éviter que les caspases mènent leur funeste office, l’EPO recrute une protéine protectrice, protégeant ainsi les cellules souches  

 

En 1983, le laboratoire californien Amgen produit de manière industrielle de l'EPO de synthèse. Cette avancée scientifique est un pas de géant pour certains malades : insuffisants rénaux traités par hémodialyse, graves anémies chez les nourrissons ou suite à des chimiothérapies anticancéreuses. En France, le produit n'est mis sur le marché via les officines hospitalières qu'en 1990. 

 

A cette époque, l'EPO n'intéresse pas encore les sportifs pourtant, les conséquences d'une augmentation de l'oxygénation du sang sont déjà bien connues. Les méthodes allaient de la systématisation des grossesses chez les athlètes de certains pays de l'Est dans les années 1950 (les bénéfices sur la quantité d'hémoglobine étaient maintenus alors que la grossesse était interrompue après 3 à 6 mois) à l'autotransfusion (prélèvement de sang réinjecté sous forme de purée de globules rouges quelques jours avant l'épreuve) dont la logistique reste lourde et les risques élevés. Mais avec le sulfureux médecin Francesco Conconi, l'EPO allait débarquer en force dans le cyclisme transalpin pour peu à peu s'étendre à de nombreux pays. 

Les grossesses : Depuis les années 50, plus d'un tiers des athlètes féminines de certains pays de l'Est notamment auraient été enceintes. Ce taux est bien supérieur à celui trouvé dans le reste de la population. Et pourtant, les sportives ne font pas plus d'enfants que leurs homologues sédentaires.

Fin des années 80, l'affaire de nombreuses fois pressentie et évoquée durant 40 ans explose au grand jour. Des entraîneurs engrossaient des athlètes puis les faisaient avorter afin de profiter des effets physiologiques liés à la grossesse. Les sportives pratiquant les activités d'endurance étaient les plus concernées.

Les effets de la grossesse sont proches de ceux engendrés par l'entraînement de durée. Le cœur augmente de volume, la quantité d'hémoglobine (pigment assurant le transport de l'oxygène) est accrue, la ventilation est quasiment multipliée par deux. La consommation maximale d'oxygène de l'organisme peut être augmentée de 10 à 30%.

Afin de bénéficier de tous ces avantages sans avoir à subir le désagrément d'une prise de poids exagérée, la grossesse était interrompue après 3 à 6 mois. 

Bien évidemment, tous les cas de sportives enceintes ayant accomplit des exploits ne relèvent pas du dopage.

L’autotransfusion : Les premiers essais consistant à prélever du sang à une personne pour lui réinjecter par la suite, ont été mis sur pied dans les années d'après guerre (1947) par l'armée américaine. Toutefois, la technique a été réellement affinée en 1972 par le professeur Ekblom B de l'institut de physiologie de la performance de l'école suédoise de sport à Stockholm. Elle consiste à prélever du sang à l'athlète pour lui réinjecter quelque temps avant la compétition.

Pendant l'entraînement, le staff médical prélève environ 1l de sang. Ce dernier est alors conservé selon un protocole assez rigoureux. Dans la semaine qui précède la compétition, les globules sont retransfusées à l'athlète. Pourvu de davantage de globules rouges, donc de possibilités accrues de transport d'oxygène, ce dernier présente, en moyenne, une élévation de ses performances de l'ordre de 10 à 20%. Les effets se prolongeraient pendant deux semaines. Une étude publiée en 1987 faisait état d'une amélioration des temps de une minute sur un 10 000m chez des coureurs de bon niveau.

Les risques d'une telle pratique sont une réaction de destruction des hématies (globules rouges), la survenue d'infections et un accroissement de la viscosité sanguine pouvant être à l'origine de problèmes cardiaques.

Les problèmes de conservation et les risques encourus lors de la transfusion ont limité la prolifération de cette méthode de dopage. Il n'empêche que toute une génération de spécialistes d'endurance ont "bénéficié" de ses effets. Parmi les athlètes suspectés citons le champion olympique spécialiste des 5000 et 10 000m, Lasse Viren ; l'Italien champion du monde de cross Alberto Cova, le cycliste Francesco Moser (les deux derniers athlètes étaient entraînés par le même professeur Conconi qui fut par ailleurs responsable de la lutte antidopage en Italie !). Si ces sportifs n'ont jamais confirmé les faits, d'autres comme le Russe Antipov (10 000m), les Finlandais Leppilampi (3000m steeple) et Maaninka (5000-10 000) ont avoué avoir pratiqué cette méthode.

 

L'EPO artificielle a été largement détournée de son usage initial pour offrir aux tricheurs une endurance à toute épreuve et des performances accrues. Avec l'étrange augmentation des résultats de certains athlètes, la suspicion était générale.

l'EPO a été plébiscitée par les sportifs pratiquant les activités d'endurance. Cet engouement s'explique par une efficacité ressentie par les sportifs ("sentiment d'avoir un turbo") et prouvée par de nombreuses expérimentations scientifiques.

Le médecin suédois, Bjorn Ekblom, celui là même qui avait mis au moins la technique de l'autotransfusion, fut un des premiers scientifiques à prouver l'efficacité de l'EPO. L'amélioration trouvée au niveau de la performance était de l'ordre de 10% en trois semaines. Depuis, ce chiffre a été confirmé plusieurs fois. Après 6 semaines de traitement, l'augmentation de la consommation d'oxygène serait de 8% et celle de la performance de 16%.

Même si tel est effectivement le cas, l'utilisation d'EPO présente de multiples avantages sur l'autotransfusion :

- la méthodologie des injections est infiniment plus simple 

- les injections peuvent être répétées à intervalles contrôlés et adaptées en fonction des réactions du sportif.

- l'hormone disparaît rapidement du sang (en 48h les taux sont revenus à la normale) alors que ses effets se prolongent plusieurs semaines.

Ces prérogatives ont contribué à faire de l'EPO, le produit des sports de durée.

 

Cependant, il existe un revers de la médaille. S'agissant d'une hormone, son utilisation n'est pas sans dangers pour le sportif.

Tout d'abord, signalons que sa prise doit être couplée avec celle de fer qui entre dans la composition de l'hémoglobine (le pigment transporteur d'oxygène) contenu dans les globules rouges. Etant donné que les doses sont données de manière empirique (pour ne pas dire farfelues) de nombreux cas de surdosage en fer ont été détectés. Les coureurs surdosés risquent de nombreuses lésions cellulaires (cirrhose, diabète, accidents cardiaques…).

Par ailleurs, l'EPO peut conduire à des embolies. Si elle est injectée trop rapidement, elle peut engendrer un syndrome grippal avec fièvre, frissons, douleurs musculaires…. Autant de symptômes ressentis par tous les coureurs d'une équipe cycliste lors d'une affaire pas ordinaire. A court terme, cet épaississement augmente le risque de formation de caillots sanguins, donc le risque de thromboses (infarctus ou attaques vasculaires cérébrales)" précise le Pr. Michel Audran, professeur à la faculté de pharmacie de Montpellier (Hérault) et expert auprès du Conseil de lutte et de prévention du dopage (CPLD). Ces effets secondaires obligent d'ailleurs les sportifs dopés à prendre de l'aspirine ou des anticoagulants (qui fluidifient le sang). Malgré cela, plusieurs décès suspects surviennent durant les années 1990. A long terme, l'EPO entraîne des risques d'hypertension artérielle, voire de cancer de la moelle osseuse.


 L’affaire PDM


 Lors du tour de France 1992, en deux jours, tous les coureurs de l'équipe PDM abandonnent la compétition. Tous présentent les mêmes symptômes : fièvre, fatigue intense, troubles digestifs, fréquence cardiaque accélérée, douleurs dans les muscles et articulations. L'analyse sanguine montre un taux de globules blancs élevé. Elle laisse penser à une infection virale.

Dès le lendemain, les dirigeants de l'équipe tentent une explication puis d'autres. C'est tour à tour une climatisation défectueuse de l'hôtel puis une intoxication alimentaire dans un autre hôtel qui seraient à l'origine du mal. Problème, l'encadrement logé à la même enseigne n'est pas touché.

Le lendemain de la dernière tentative d'explication, ce n'est plus un virus qui est mis en cause mais une bactérie. 10 jours plus tard, les responsables seraient les boissons de course qui auraient été infectées par la salmonelle. Ceci expliquerait pourquoi seuls les coureurs ont été contaminés. Encore une semaine plus tard, les boissons sont innocentées. En effet, il faut à présent expliquer le fait que les coureurs n'aient pas subi de diarrhées. Nouveau coupable, une injection d'intralipides (solution à base de lipides destinée à reconstituer les stocks énergétiques) aurait été infectée car non tenue dans un endroit réfrigéré. Les explications s'arrêteront là.

Moins d'un mois après l'affaire, Erik Breukink, le leader de l'équipe, déclare que les coureurs ont été contraints de mentir.

En fait, deux explications beaucoup plus plausibles ont été avancées par d'autres médecins. La plus probable incrimine la prise d'EPO. En effet, l'ingestion massive d'EPO peut s'accompagner d'un syndrome grippal identique à celui observé sur les coureurs de l'équipe PDM.

A propos, il est indiqué sur la notice des Intralipides, que les flacons non entamés peuvent être conservés à température ambiante.

Même si ces péripéties rocambolesques peuvent prêter à sourire, ce qui suit est plus inquiétant.

Le début des années 90 est une véritable période d'essais pour les dopeurs à l'EPO. L'objectif de ces derniers est d'augmenter le plus possible les performances des sportifs. Pour ce faire, ils ne se soucient guère des doses recommandées en thérapeutique mais cherchent la quantité maximale de produit conduisant à l'objectif fixé. Le seul indicateur qui puisse les renseigner est alors la réaction du sportif. Schématiquement le protocole est le suivant : tant qu'il supporte, on double les doses. Selon les produits, ces pratiques peuvent conduire à injecter des quantités 100 voir 200 fois supérieures à celles recommandées par le corps médical. Evidemment, parfois tout ça dérape ; un peu, comme dans le cas de l'affaire PDM, ou beaucoup.

Au début des années 90, en un an et demi, environ 20 coureurs professionnels sont mystérieusement décédés. Les autopsies relevaient à chaque fois une grande viscosité du sang et la formation de caillots obstruant les artères… autant d'effets secondaires de l'EPO.

 

On pense notamment aux « affaires », celle de Festina, en particulier, survenue durant le Tour de France 1998. Il y a aussi les aveux plus récents d'anciens coureurs – comme ceux de l'équipe Deutsch Telekom – reconnaissant avoir usé et abusé de cette substance durant la dernière décennie. Et enfin la CERA, 3ème génération d’EPO longue durée, trouvée dans les urines de Riccardo Ricco 

Malgré ces risques, l'EPO a séduit et séduit encore. Pour démasquer les tricheurs, le challenge de la lutte antidopage est loin d'être aisé. "L'EPO est une molécule qui a une très courte demi-vie. Au bout de trois jours, la molécule devient indétectable alors que ses effets perdurent 2 à 3 semaines. Pour les sportifs dopés qui ont passé des mois à augmenter le nombre de leurs globules rouges, il suffit d'arrêter quelques jours avant la compétition pour passer à travers les mailles du filet" nous précise Michel Audran.

Détecter l'EPO deux à trois jours après sa prise reste utile à l'occasion de contrôles inopinés. C'est possible depuis l'an 2000 grâce à un test urinaire mis au point par Jacques de Ceaurriz et Françoise Lasne, chercheurs du Laboratoire National de Dépistage du Dopage (LNDD). Capable de différencier l'EPO artificielle de l'EPO naturelle, ce test a prouvé son efficacité en étudiant les prélèvements d'urine réalisés lors du Tour de France 1998. Sur les 102 échantillons, 14 cas de fraudes avaient été révélés, mais les analyses trop éloignées de la compétition n'ont pas eu de suites.

Pour des contrôles durant les compétitions, les tests indirects permettent de repérer des échantillons suspects jusqu'à trois semaines après la prise d'EPO. La détection est alors basée sur des prélèvements sanguins. On mesure différents paramètres : l'hématocrite (volume de globules rouges sur le volume sanguin total), la présence de fer en excès dans le sang .   


Bibliographie : Volodalen ; Doctossimo.com ; Science actualités